
Source : Ritchie (2019)
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Ritchie H. (2019) 12 key metrics to understand the state of the world. Published online at OurWorldInData.org.
Source : Ritchie et Roser (2019)
Le modèle agro-industriel a donné naissance à une situation inédite d’abondance alimentaire à l’échelle mondiale. Pour autant, près de la moitié de l’humanité souffre de malnutrition. De manière générale, les niveaux de prix historiquement bas atteints par les marchandises agricoles et les produits alimentaires masquent des coûts bien réels. Notre alimentation n’a en réalité probablement jamais coûté aussi chère. Elle se paye en dégradation de la santé publique, en détérioration des conditions de vie de millions de travailleurs, et en dommages environnementaux d’ampleur planétaire.
D’un côté, l’insécurité alimentaire modérée ou grave 1
L’insécurité alimentaire modérée se traduit par des épisodes de faim irréguliers ou par une alimentation de qualité insuffisante provoquant diverses carences (protéines, fer, iode, vitamines) et problèmes de santé. Les formes les plus graves d’insécurité alimentaire se manifestent par une sous-alimentation chronique, situation dans laquelle la ration alimentaire quotidienne ne suffit pas à couvrir les besoins énergétiques de base du corps humain.2
FAO (2021) The State of Food Security and Nutrition in the World 2021. FAO, Rome.3
OMS (2021) Obésité et surpoids. Principaux faits. URL : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight4
Il existe un certain recouvrement entre les populations affectées par l’insécurité alimentaire et par le surpoids. Voir : Farrell P. et al. (2018) How food insecurity could lead to obesity in LMICs: When not enough is too much: a realist review of how food insecurity could lead to obesity in low- and middle-income countries. Health Promotion International 33:812–826.
Même dans les pays du Nord, à qui profite l’organisation du système alimentaire mondialisé, près de 10 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave 7
FAO (2021) The State of Food Security and Nutrition in the World 2021. FAO, Rome.8
Une étude de l’ANSES rapporte que 11 % de la population française était en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave en 2014. Voir ANSES (2017) Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3)9
Le Morvan F. et Wanecq T. (2019) La lutte contre la précarité alimentaire. Évolution du soutien public à une politique sociale, agricole et de santé publique. Rapport IGAS n°2019-069R.10
Ipsos et Secours Populaire Français (2021) Résultats du 15e baromètre IPSOS / SPF sur la perception de la pauvreté et la précarité par les Françaises et les Français. URL : https://www.secourspopulaire.fr/barometre-pauvrete-ipsos
La production agricole mondiale est en théorie largement suffisante pour nourrir correctement l’ensemble de l’humanité 11
D’après les données de la FAO, la disponibilité alimentaire à l’échelle mondiale est d’environ 2 950 kcal/personne/jour sur la période 2018-2020 et les apports énergétiques recommandés sont en moyenne de 2 360 kcal par jour. Voir FAOSTAT. Suite of Food Security Indicators. URL : https://www.fao.org/faostat/en/#data/FS12
Le surplus de nourriture disponible à l’échelle mondiale apparaît d’autant plus marqué lorsque l’on considère qu’environ un tiers des céréales produites servent à l’alimentation des animaux d’élevage et que la production d’un kilogramme de viande nécessite en moyenne trois kilogrammes de céréales. Voir Mottet A. et al. (2017) Livestock: On our plates or eating at our table? A new analysis of the feed/food debate. Global Food Security 14:1–8.13
Environ les trois quarts des personnes souffrant de la faim dans le monde sont des travailleurs agricoles. Voir Sanchez PA. et al. (2005) Halving hunger : it can be done. UN Millennium Project, Task Force on Hunger.14
Elle est aussi exportatrice agricole nette, tous produits confondus. Voir : FAOSTAT. Rankings. URL : https://www.fao.org/faostat/en/#rankings/countries_by_commodity_exports15
FAO (2021) The State of Food Security and Nutrition in the World 2021. FAO, Rome.16
Mazoyer M. (2006) Développement agricole inégal et sous-alimentation paysanne. La jaune et la rouge 612:33–40.17
Mazoyer M. (2006) Développement agricole inégal et sous-alimentation paysanne. La jaune et la rouge 612:33–40.
Résultat de ces disparités, les paysans les moins bien équipés et les moins soutenus par l’argent public sont contraints de s’aligner sur les prix faibles des produits fortement subventionnés de l’agriculture industrielle, avec lesquels ils sont mis en concurrence. Ils s’appauvrissent, se privent de nourriture pour faire face à leurs dépenses contraintes (renouvellement du matériel et des semences, énergie, logement, santé, éducation, crédits, impôts), et nombre d’entre eux finissent par abandonner leurs terres pour rejoindre les villes dans l’espoir d’améliorer leur situation.
Une alimentation saine et en quantité appropriée est la première condition de la bonne santé humaine. Inversement, un régime inadapté joue un rôle déterminant dans l’apparition de nombreuses pathologies, la dégradation de la qualité de vie et le risque de mort prématurée. En France, l’alimentation inadaptée constitue le premier facteur de risque de mauvaise santé 19
Cartron F. et Fichet J-L. (2020) Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur « Vers une alimentation durable : Un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France ». Rapport au Sénat n° 476.20
Prud’homme L. et Crouzet M. (2018) Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance. Rapport à l’Assemblée Nationale n° 1266.
La principale raison de cette évolution se trouve dans la métamorphose récente de notre régime alimentaire. Plusieurs siècles d’innovation agricole, de développement des infrastructures de transport, et d’amélioration des procédés de conservation et de transformation avaient considérablement amélioré notre alimentation. Mais depuis les années 1980, l’alimentation a cessé d’être un vecteur de progrès sanitaire. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère nutritionnelle : celle d’une alimentation industrielle largement façonnée par les grandes entreprises de l’agroalimentaire et de la distribution, et aux lourdes conséquences sur la santé publique. Le taux d’obésité est passé de 6,5 % de la population adulte française en 1991 21
Zerguine M. (2002) Caractéristiques de l’obésité massive en Lorraine: l’expérience du centre médico-diététique de l’ALUMNAT. Sciences du Vivant (q-bio). hal-01738824. p.2522
Santé Publique France (2017) Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Corpulence.23
INSERM (2012) Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité. Résultats de l’enquête ObÉpi. URL : https://presse.inserm.fr/wp-content/uploads/2012/10/obepi_2012.pdf
Dans les circuits agro-industriels, les produits agricoles bruts sont décomposés pour obtenir des produits alimentaires intermédiaires (PAI) comme la poudre de lait, la poudre d’œufs, l’amidon de maïs, le sucre, les huiles raffinées, et les minerais de viandes 24
Principalement des chutes issues de la découpe des carcasses. On y trouve un mélange de muscles, tendons, graisses, os et cartilages.25
On retrouve parmi les plus communs les friandises (biscuits, chocolats, bonbons…), les céréales de petit-déjeuner, les biscuits apéritifs, les produits à tartiner sucrées ou salées, les préparations à base de viande ou de poisson (knacks, surimi, cordon bleu, poisson pané…) et une large gamme de plats cuisinés. Voir Monteiro CA. et al. (2016) NOVA. The star shines bright. World Nutrition 7:28–38.
De nombreuses études ont établi un lien entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un risque accru de surpoids, d’obésité, d’hypertension artérielle, de cancer, de troubles fonctionnels digestifs, de maladies cardio-vasculaires, et de mort prématurée 27
Fiolet T. et al. (2018) Consumption of ultra-processed foods and cancer risk: results from NutriNet-Santé prospective cohort. BMJ 360:k322.28
Srour B. et al. (2019) Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: prospective cohort study (NutriNet-Santé). BMJ 365:l1451.29
Schnabel L. et al. (2019) Association Between Ultraprocessed Food Consumption and Risk of Mortality Among Middle-aged Adults in France. JAMA Internal Medicine 179:490–498.30
LaNutrition.fr (2021) Le bon choix au supermarché. Thierry Souccar Editions.31
Julia C. et al. (2018) Contribution of ultra-processed foods in the diet of adults from the French NutriNet-Santé study. Public Health Nutrition 21:27–37.
Au-delà de leur impact sur la mortalité, les pathologies liées à l’alimentation représentent aussi une cause majeure de dégradation de la qualité de vie et du vieillissement en mauvaise santé. L’obésité est par exemple associée à des complications fréquentes telles que du diabète, des maladies respiratoires, des troubles hormonaux, des maladies articulaires ou encore des problèmes gastriques et dermatologiques 32
INSERM (2017) Obésité. Une maladie des tissus adipeux. Article publié sur le site internet de l’INSERM. URL : https://www.inserm.fr/dossier/obesite/33
Environ 90 % des quatre millions de cas de diabète sont de type 2 (insulino-résistance), dont le premier facteur de risque est la mauvaise alimentation. Voir Assurance Maladie (2021) Rapport au ministre chargé de la Sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance Maladie au titre de 2022 (loi du 13 août 2004).34
Santé Publique France (2019) Prévalence et incidence du diabète. URL : https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/diabete/articles/prevalence-et-incidence-du-diabete
L’alimentation déséquilibrée ne peut raisonnablement être imputée aux seuls consommateurs, à qui l’orientation de l’offre alimentaire, le travail de marketing, la composition et la qualité nutritionnelle des produits échappent entièrement. Les industries agroalimentaires et la grande distribution constituent aujourd’hui les forces d’influence dominantes de l’évolution de nos régimes alimentaires. Les maigres dispositions réglementaires obligeant les annonceurs à mentionner « d’éviter de manger trop gras, trop sucré, trop salé » 35
Article 29 de la Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.36
Avec un quart des dépenses en 2017. Voir Kantar Media, France Pub, IREP (2017) BUMP 2017 : Baromètre Unifié du Marché Publicitaire. URL : https://www.kantar.com/fr/actualites-presse/2017-bump-annuel37
Site internet de l’Assurance Maladie (2021) Prévention du surpoids et l’obésité de l’enfant. URL : https://www.ameli.fr/medecin/sante-prevention/enfants-et-adolescents/un-enjeu-de-sante-publique
Il existe une vaste asymétrie d’information de part et d’autre de l’étal : les entreprises agroalimentaires et la grande distribution sont en mesure de tester la capacité de leurs produits à provoquer l’acte d’achat sur des millions de cobayes. Elles peuvent ainsi adapter en conséquence leur composition et leur packaging pour influencer nos choix alimentaires, tandis que les consommateurs peinent à accéder à des informations fiables et synthétiques sur la composition, la provenance et la durabilité des produits qu’ils achètent. Les actions de sensibilisation se succèdent mais s’avèrent bien insuffisantes. Quelques mois après le lancement de la campagne « Manger au moins cinq fruits et légumes par jour » lancée en 2007, 93 % des Français avaient eu connaissance de ce message, mais seuls 3 % d’entre eux déclaraient avoir changé d’alimentation volontairement sur cette période 38
INSEE (2015) Cinquante ans de consommation alimentaire : une croissance modérée, mais de profonds changements. INSEE première n°1568.
Enfin, notre alimentation est également à l’origine de problèmes de santé publique aux cours des différentes étapes de sa production. Les agriculteurs sont en particulier exposés à de nombreuses molécules toxiques pouvant favoriser l’apparition de pathologies graves dont plusieurs cancers et la maladie de Parkinson 39
INSERM (2021) Pesticides et santé – Nouvelles données. Pôle Expertise Collective INSERM.40
ADEME (2012) Émissions agricoles de particules dans l’air. État des lieux et leviers d’action.41
Manyi-Loh C. et al. (2018) Antibiotic Use in Agriculture and Its Consequential Resistance in Environmental Sources: Potential Public Health Implications. Molecules 23:795.42
Voir les informations présentées sur le site de l’INRS, catégories Agroalimentaire et Commerces alimentaires. URL : https://www.inrs.fr/
Malgré les fortes disparités de revenus et les différences de conditions de travail existant au sein de la profession, les exploitants agricoles constituent la catégorie professionnelle qui travaille le plus 43
Chardon O. et al. (2020) Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes. INSEE Focus 212.44
Flamand L. et al. (2018) Qui travaille après 65 ans ? Dans France, portrait social, édition 2018. Insee Références.45
Chartier L. (2015) Les agriculteurs : des précaires invisibles. Pour 225:49–59.
Les agriculteurs travaillent en moyenne 55 heures par semaine, contre 37 heures pour l’ensemble des personnes ayant un emploi 46
Chardon O. et al. (2020) Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes. INSEE Focus 212.47
Synthèse des données du Réseau d’Information Comptable Agricole (RICA) pour les années 2017 à 2020. La moyenne sur la période du résultat courant avant impôts par travailleur non salarié (RCAI par UTANS) médian est de 20 706 euros par an. Les cotisations sociales représentent en moyenne 26 % du RCAI sur la période.48
La moyenne sur la période du résultat courant avant impôts par travailleur non salarié (RCAI par UTANS) du dernier quartile est de 7 134 euros par an. Source : synthèse des données du Réseau d’Information Comptable Agricole (RICA) pour les années 2017 à 2020. La moyenne sur la période du résultat courant avant impôts par travailleur non salarié (RCAI par UTANS) médian est de 20 706 euros par an. Les cotisations sociales représentent en moyenne 26 % du RCAI sur la période.49
Le RCAI par UTANS moyen du premier décile sur la période 2017-2020 est de 66 422 euros par an. Source : synthèse des données du Réseau d’Information Comptable Agricole (RICA) pour les années 2017 à 2020. La moyenne sur la période du résultat courant avant impôts par travailleur non salarié (RCAI par UTANS) médian est de 20 706 euros par an. Les cotisations sociales représentent en moyenne 26 % du RCAI sur la période.
La faiblesse des revenus et des cotisations se répercute sur le niveau des pensions de retraite : 860 euros par mois en moyenne pour les non-salariés agricoles après une carrière complète, avec une différence marquée entre les hommes et les femmes 50
980 contre 750 euros mensuels. Voir DREES (2020) Le niveau des pensions. Dans Les retraités et les retraites – édition 2020.51
Chassaigne A. et al. (2021) Proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles. Proposition de loi n° 4137 présentée à l’Assemblée Nationale.
Les prix de vente trop peu élevés des produits agricoles sont l’un des principaux facteurs à l’origine de la faiblesse des revenus. Dans un contexte de concurrence dérégulée entre des exploitations aux tailles et aux pratiques agricoles hétérogènes évoluant dans des pays aux conditions et normes de production très disparates (y compris au sein de l’Union Européenne), les prix et les conditions de travail sont mécaniquement tirés vers le bas. Le problème est aggravé par les capacités de négociations désavantageuses vis-à-vis des autres acteurs du système alimentaire. Sur 100 euros d’achats alimentaires, seuls 6,5 euros sont perçus par les agriculteurs français 52
Plus précisément, l’étape de production agricole est à l’origine d’environ 10 % de la valeur ajoutée une fois déduites les taxes et importations alors qu’elle rassemble 15 % de l’emploi des secteurs étudiés. Voir Boyer P. (2020) « L’euro alimentaire » : le contenu de la dépense alimentaire en production agricole, en emplois et en valeurs ajoutées, importations et taxes. La lettre de l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires n° 16.
Un deuxième facteur expliquant les faibles revenus agricoles tient dans la nécessité pour les agriculteurs d’acquérir un important capital professionnel pour pouvoir exercer leur métier (voir IV. Les obstacles à surmonter). Il s’agit concrètement des emprunts contractés pour obtenir du foncier, des bâtiments, du matériel, des animaux reproducteurs, et d’autres immobilisations, représentant en moyenne 266 000 euros par exploitation 54
S’y ajoutent 193 000 euros d’actifs plus liquides (stocks, créances de court terme, trésorerie). Voir Agreste (2020) Graph’Agri 2020. Résultat des exploitations – Capital.55
Piet L. et al. (2021) Hétérogénéité, déterminants et soutien du revenu des agriculteurs français. Notes et études socio-économiques 49:5–40.56
Synthèse des données du RICA pour les années 2017 à 2020. Rapportée aux travailleurs non salariés, la moyenne sur la période du résultat courant avant impôts (RCAI par UTANS) médian est de 20 706 euros par an, celle de l’excédent brut d’exploitation (EBE par UTANS) médian est de 41 313 euros. La différence entre l’EBE et le RCAI participe à la constitution du capital une fois déduites les charges liées aux intérêts des emprunts (en moyenne 4, 4 % de l’EBE sur la période).57
On retrouve cette formule dans de nombreux discours tout au long du processus d’industrialisation de l’agriculture et encore aujourd’hui. Voir par exemple l’intervention du ministre de l’agriculture Pierre Méhaignerie en 1980 dans un débat parlementaire sur un projet de loi d’orientation agricole : Journal Officiel de la République Française. Débats parlementaires. Sénat. Séance du lundi 25 février 1980.58
Solidarité Paysans (2013) Dans l’engrenage de l’endettement. Dans Miramap (ed.) Une autre finance pour une autre agriculture (pp. 53–60). Éditions Yves Michel
La recherche permanente de gains de compétitivité qui caractérise le modèle agro-industriel (voir IV. Les obstacles à surmonter) a pour revers d’imposer des conditions de travail souvent délétères pour la qualité de vie et la santé des employés. Dans les pays industrialisés, ouvrier sur une chaîne de transformation alimentaire, employé de rayon, caissier de supermarché ou vendeur dans un fast-food sont autant d’emplois pénibles, peu gratifiants et la plupart du temps rémunérés au minimum légal. À titre d’exemple, les ouvriers des abattoirs industriels effectuent des gestes éprouvants de mise à mort et de découpe plusieurs heures par jour et par nuit dans un environnement extrêmement stressant et perturbant. Ils encourent de ce fait des risques conséquents d’accident du travail et de troubles psychologiques 59
L214, site internet Viande.info. Conditions de travail et santé des ouvriers d’abattoirs. URL : https://www.viande.info/conditions-travail-ouvrier-abattoirs60
Reinhardt A-S. (2020) Les Damnés, des ouvriers en abattoirs. Les Batelières Productions.61
Amellal K. (2019) « Les travailleurs ubérisés sont les prolétaires du XXIe siècle ». Le Monde. URL : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/07/les-travailleurs-uberises-sont-les-proletaires-du-xxie-siecle_5446826_3224.html
Particulièrement mis en lumière suite à la fermeture des frontières lors de la crise sanitaire du printemps 2020 62
Pécoud A. (2020) Agriculture : les migrants saisonniers récoltent ce que le Covid-19 a semé. The Conversation. URL : https://theconversation.com/agriculture-les-migrants-saisonniers-recoltent-ce-que-le-covid-19-a-seme-14011663
Mésini B. (2013) Mobile, flexibles et réversibles. Hommes & migrations 1301:67–76.64
Hellio E. (2008) Importer des femmes pour exporter des fraises (Huelva). Études rurales 182:185–200.65
Wagner B. et Hassel A. (2015) Labor Migration and the German Meat Processing Industry: Fundamental Freedoms and the Influx of Cheap Labor. South Atlantic Quarterly 114:204–214.66
Par l’Office des Migrations Internationales.67
Mésini B. (2013) Mobile, flexibles et réversibles. Hommes & migrations 1301:67–76.68
Dans la province Huelva en Andalousie, les premiers contrats ont concerné « 600 Polonaises, 200 Marocains et quelques Latino-Américains. En 2003, le nombre de travailleurs sous contrat s’élevait déjà à 12 000. Il a presque doublé en 2004, et, en 2007, 35 000 ouvrières sont venues récolter les fraises de toute la province de Huelva ». Hellio E. (2008) Importer des femmes pour exporter des fraises (Huelva). Études rurales 182:185–200.69
Mesini B. et Laurent C. (2015) Concurrence des marchés de main-d’œuvre et dumping social dans l’agriculture. Économie rurale 349-350:171–176.70
Mésini B. (2008) Contentieux prud’homal des étrangers saisonniers dans les Bouches-du-Rhône. Études rurales 182:121–138.71
Mésini B. (2008) Contentieux prud’homal des étrangers saisonniers dans les Bouches-du-Rhône. Études rurales 182:121–138.72
Hameury G. (2021) Des migrants employés dans l’agroalimentaire sortent du silence. Le Télégramme. URL : https://www.letelegramme.fr/bretagne/des-migrants-employes-dans-l-agroalimentaire-sortent-du-silence-04-01-2021-12683559.php
Dans les pays du Sud, de nombreuses cultures d’export sont emblématiques des abus du modèle agro-industriel en matière de droit humain. Dans les pays riches, le faible prix des produits importés depuis l’étranger repose dans de nombreux cas sur la disparité des niveaux de revenu et sur l’absence de protection des travailleurs. La recherche des coûts de production les plus bas se traduit par une rémunération minimale et des conditions de travail indignes imposées aux populations les plus vulnérables.
Dans le sud de l’Inde, des dizaines de milliers de femmes décortiquent des noix de cajou dont l’enveloppe acide leur brûle les mains et les yeux, pour un salaire de quatre à six euros par jour 74
France Info (2019) Inde : les petites mains de la noix de cajou. France 2, Journal de 20h. URL : https://www.francetvinfo.fr/monde/inde/inde-les-petites-mains-de-la-noix-de-cajou_3572263.html75
Mason M. et McDowell R. (2020) Palm oil labor abuses linked to world’s top brands, banks. The Associated Press. URL : https://apnews.com/article/virus-outbreak-only-on-ap-indonesia-financial-markets-malaysia-7b634596270cc6aa7578a062a30423bb76
Bureau for Appraisal of Social Impacts for Citizen education (2015) Banana value chains in Europe and the consequences of unfair trading practices.
Ces exemples ne relèvent pas d’abus isolés. Il s’agit des conditions qui prévalent dès lors qu’aucune norme n’est appliquée ou qu’aucun contrôle n’est exercé sur les produits d’import. Dans un marché dérégulé, le mauvais traitement des travailleurs devient un « avantage comparatif » et se trouve automatiquement sélectionné.
Le système alimentaire est l’une des principales causes de dégradation des grands équilibres sur lesquels repose l’habitabilité de la planète. Ces impacts ne sont pas des effets accidentels, mais les conséquences directes et prévisibles des incitations économiques qui président au fonctionnement du modèle agro-industriel.
Le système alimentaire global est la première activité humaine responsable du changement climatique : il génère un tiers des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre 77
Tubiello FN. et al. (2021) Greenhouse gas emissions from food systems: building the evidence base. Environmental Research Letters 16:065007.78
Barbier C. et al. (2019) L’empreinte énergétique et carbone de l’alimentation en France. Club Ingénierie Prospective Énergie et Environnement, Paris.79
L’empreinte carbone représente la quantité de gaz à effet de serre émis pour produire et mettre à disposition les biens et services consommés par une population donnée, quelle que soit leur origine géographique.
Au niveau mondial, l’expansion des terres agricoles est responsable de 80 % de la déforestation, les forêts tropicales étant les premières concernées 81
Kissinger G. et al. (2012) Drivers of deforestation and forest degradation: a synthesis report for REDD+ policymakers. Lexeme Consulting, Vancouver.82
IPBES (2019) Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.83
Kissinger G. et al. (2012) Drivers of deforestation and forest degradation: a synthesis report for REDD+ policymakers. Lexeme Consulting, Vancouver.84
Valiela I. et al. (2001) Mangrove Forests: One of the World’s Threatened Major Tropical Environments: At least 35% of the area of mangrove forests has been lost in the past two decades, losses that exceed those for tropical rain forests and coral reefs, two other well-known threatened environments, BioScience 51:807–815.
Le système alimentaire français participe à la forte demande mondiale pour ces produits, utilisés en alimentation humaine ou animale, ou comme agrocarburants. La France importe chaque année plus de trois millions de tonnes de tourteaux de soja pour l’alimentation animale, qui reposent sur l’exploitation d’une surface agricole équivalente à celles du Morbihan, des Côtes d’Armor et du Finistère réunies 85
Greenpeace (2019) Mordue de viande : L’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja.86
WWF (2021) Quand les européens consomment, les forêts se consument.
Le système agricole industriel dégrade les écosystèmes et, en détruisant les habitats de centaines de milliers d’espèces, se trouve être la première cause de l’effondrement de la biodiversité observée à l’échelle mondiale 87
IPBES (2019) Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.88
Commissariat Général au Développement Durable (2019) Rapport de synthèse. L’environnement en France. La Documentation Française.89
Jacquemet A. (2021) Le déclin des insectes. Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, note n° 30.
À l’échelle mondiale 91
Campbell BM. et al. (2017) Agriculture production as a major driver of the Earth system exceeding planetary boundaries. Ecology and Society 22:8.92
Conseil d’État (2010) Rapport annuel. L’Eau et son droit.
Le système alimentaire est la première cause de perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, deux éléments essentiels aux cultures végétales 94
Campbell BM. et al. (2017) Agriculture production as a major driver of the Earth system exceeding planetary boundaries. Ecology and Society 22:8.
L’organisation agro-industrielle moderne est par ailleurs très gourmande en énergie, que ce soit pour fabriquer les machines et les intrants utilisés en agriculture, faire rouler les tracteurs, transformer les produits alimentaires, transporter les marchandises et les consommateurs, gérer les déchets. Cette énergie étant principalement fournie par les combustibles fossiles, le système alimentaire participe à leur épuisement et aux risques de déstabilisation géopolitique associés (voir II. Un système vulnérable).
Sans transformation à la hauteur de ces enjeux, le système alimentaire contemporain compromet l’habitabilité de la planète pour des millions d’espèces, dont la nôtre. Le système alimentaire se trouve par ailleurs en première ligne face aux dérèglements écologiques globaux, ce qui risque à court ou moyen terme de remettre en cause la sécurité alimentaire de la population dans de nombreuses régions du monde, et ce jusque dans les pays industrialisés (voir II. Un système vulnérable).
Si le prix des produits alimentaires est en apparence historiquement faible 95
La part du budget des ménages consacrée à l’alimentation (hors restauration) est passée de 30 % en 1960 à 15 % dans les années 2000. Voir Agreste (2021) Graph’Agri 2021. Revenus et dépenses des ménages.
Plusieurs travaux ont cherché à estimer les coûts cachés (ou externalités négatives) de l’alimentation dans les pays industrialisés 96
Royaume-Uni : Sustainable Food Trust (2019) The hidden cost of UK food. Revised edition 2019.97
États-Unis : The Rockefeller Foundation (2021) True Cost of Food: Measuring What Matters to Transform the U.S. Food System.98
Allemagne : Boston Consulting Group (2020) The True Cost of Food.99
Suisse : Perotti A. (2020) Moving Towards a Sustainable Swiss Food System: An Estimation of the True Cost of Food in Switzerland and Implications for Stakeholders. Master Thesis in the Field of Food Science Department of Environmental Systems Science ETH Zurich.100
Cet ordre de grandeur est obtenu à partir de l’étude sur les États-Unis (The Rockefeller Foundation (2021) True Cost of Food: Measuring What Matters to Transform the U.S. Food System) en retirant de l’estimation du coût sanitaire les mesures de perte de productivité, dont la prise en compte est discutable selon nous.
En France, les pathologies causées par une mauvaise alimentation génèrent des coûts de santé du fait de leur prise en charge médicale et hospitalière, des arrêts de travail et des pensions d’invalidité. Le seul coût du surpoids et de l’obésité, qui ensemble touchent la moitié de la population française, a été estimé à 9,5 milliards d’euros par an 101
Caby D. (2016) Obésité : quelles conséquences pour l’économie et comment les limiter ? Trésor-Éco 179:1–12.102
On considère que la population en surpoids est trois fois plus affectée par les pathologies liées à une mauvaise alimentation que le reste de la population (Caby D. (2016) Obésité : quelles conséquences pour l’économie et comment les limiter ? Trésor-Éco 179:1–12). Le coût pour la population non en surpoids, qui représente un même nombre de personnes, est ainsi estimé à un tiers du coût pour la population en surpoids. Nous prenons comme assiette de calcul uniquement les dépenses directes de l’assurance maladie chiffrées par Caby (2016, op. cit.) – à savoir la prise en charge médicale et hospitalière et les arrêts de travail soit 13, 4 milliards d’euros – et excluons faute de données les pensions d’invalidité et les pensions de retraite non versées du fait d’une durée de vie moins longue.
On retrouve en premier lieu dans cette catégorie les subventions publiques à l’agriculture (rendues nécessaires par la diminution des prix payés aux agriculteurs), ainsi que d’autres dépenses visant à compenser certains effets négatifs du modèle agro-industriel (développement économique rural, revitalisation des centre-bourgs, etc.). En France, les aides publiques directes au secteur agricole représentent à elles seules un coût total annuel de 14,3 milliards d’euros 103
Elles comprennent 10, 5 Mds d’euros de subventions et 3, 8 Mds d’euros d’allégements fiscaux et sociaux. Voir Agreste (2021) Graph’Agri 2021. Aides à l’agriculture – Concours publics.104
Cela ignore les produits agricoles et alimentaires importés, eux-mêmes générant différentes externalités négatives dans les pays producteurs.105
Bazin A. et Coquet E. (2018) Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur le financement de l’aide alimentaire. Rapport au Sénat n° 34.106
INCOME Consulting et AK2C (2016) Pertes et gaspillages alimentaires : l’état des lieux et leur gestion par étapes de la chaîne alimentaire. Rapport – 164 pages
Le système alimentaire est, à l’échelle mondiale, une cause majeure d’émissions de gaz à effet de serre, de destruction de biodiversité, d’érosion des sols et de pollution des cours d’eau. Une partie de ces impacts a une conséquence économique concrète, notamment pour le traitement de l’eau, dont le surcoût associé aux pollutions agricoles est en France de l’ordre de 1 milliard d’euros par an 107
Bommelaer O. et Devaux J. (2011) Coûts des principales pollutions agricoles de l’eau. Collection « Études et documents » du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable (SEEIDD) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD).
Pour l’essentiel cependant, la valorisation monétaire de ces externalités est soumise à caution, tant sur le plan méthodologique (combien coûte l’émission d’une tonne de CO2 ?), que philosophique (combien coûte l’extinction d’une espèce ?). Climat, biosphère, sols, eau, la préservation de chacun de ces éléments est fondamentale à l’épanouissement des sociétés humaines sur Terre. Leur dégradation a donc un coût difficilement chiffrable, et ce d’autant plus à l’approche de certains seuils pouvant faire basculer le système Terre dans un état fondamentalement hostile à la vie humaine 108
Lenton TM. et al. (2019) Climate tipping points – too risky to bet against. Nature 575:592–595.