Le système alimentaire français face à ses limites
En France, comme dans la plupart des pays industrialisés, la sécurité alimentaire 1
La sécurité alimentaire d’un territoire est assurée lorsque « tous ses habitants ont à tout moment la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Voir Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale (2012) S’entendre sur la terminologie.
Ce rapport s’intéresse au système alimentaire français, autrement dit, à l’ensemble des activités qui permettent de produire, transformer, transporter, consommer les aliments qui nourrissent quotidiennement la population (Figure 0.1). Pour une population ou un territoire donné, un système alimentaire résulte de la combinaison de différents modèles
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Cinq grands modèles sont identifiés par Touzard J.-M. et Fournier S. (2014). La complexité des systèmes alimentaires : un atout pour la sécurité alimentaire? VertigO 14.3
Cinq grands modèles sont identifiés par Touzard J.-M. et Fournier S. (2014). La complexité des systèmes alimentaires : un atout pour la sécurité alimentaire? VertigO 14.
Ce rapport a un triple objectif. Comprendre les problèmes posés par l’organisation actuelle du système alimentaire, à travers la synthèse de nombreux travaux de recherche en sciences naturelles et en sciences humaines montrant les défaillances et les vulnérabilités du modèle agro-industriel. Donner un cap à la réorientation du système alimentaire en présentant les principales caractéristiques d’un modèle alternatif à même de garantir une sécurité alimentaire durable. Identifier les obstacles et proposer un chemin pour parvenir à cet objectif en détaillant certaines mesures politiques d’envergure pouvant être mises en œuvre dès aujourd’hui à l’échelle nationale et européenne.
Dans la première partie, nous présentons les principales défaillances associées au modèle agro-industriel. Si les progrès en matière de productivité agricole sont indéniables et ont contribué à rendre une nourriture suffisante et diversifiée accessible au plus grand nombre, nous verrons que la sécurité alimentaire est encore loin d’être atteinte dans la plupart des pays du monde, y compris les plus riches. Environ un quart des français se restreignent sur la quantité de ce qu’ils mangent pour des raisons financières tandis que la malnutrition constitue le premier facteur de risque de mauvaise santé et l’une des premières causes de mortalité. Par ailleurs, le modèle agro-industriel repose d’une part sur une détérioration des conditions de travail à tous les niveaux du système alimentaire et, d’autre part, sur une dégradation considérable du système climatique et de la biosphère. Alors que le budget alimentaire en France est historiquement faible, le coût global du système alimentaire pour notre société n’a jamais été aussi élevé.
Dans la deuxième partie, nous analysons en quoi notre système alimentaire se trouve particulièrement fragile face aux bouleversements globaux en cours. Le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’épuisement des ressources et l’augmentation des tensions économiques et politiques nous font entrer dans une période de grande incertitude. Les multiples perturbations qui touchent le système alimentaire vont aller croissant et remettent en question les conditions historiques ayant permis au modèle agro-industriel de prospérer. Ce dernier montre de sérieuses vulnérabilités qu’il est urgent de corriger. Sans changement de cap, notre sécurité alimentaire est menacée.
Dans la troisième partie, nous effectuons la synthèse des travaux cherchant à définir les caractéristiques d’un système alimentaire résilient et durable. Ces études convergent vers trois grandes transformations de l’organisation actuelle : réduire de plus de moitié la production et la consommation d’aliments d’origine animale, généraliser l’agroécologie et renforcer l’ancrage territorial des systèmes alimentaires. Ces changements sont réalistes, chiffrés, ne font pas l’hypothèse d’une révolution technologique et se basent sur des scénarios de transition progressifs généralisant des pratiques et des modèles déjà éprouvés. Ils nécessitent de remettre en cause les logiques de spécialisation, d’intensification et de concentration du modèle agro-industriel.
Dans la quatrième partie, nous détaillons les principaux obstacles aux transformations évoquées dans la partie précédente. L’émergence et la consolidation du modèle agro-industriel s’est accompagnée de la mise en place d’un certain nombre de verrous d’ordre économique, réglementaire, politique, technique et sociologique qui s’opposent à tout changement de trajectoire. En particulier, la recherche des coûts de production les plus bas sur des marchés ne prenant pas en compte les coûts sociaux et environnementaux constitue un obstacle fondamental qui s’impose à tous les acteurs du système alimentaire. Quand bien même des agriculteurs ou des entreprises seraient convaincus de la nécessité de changer leurs pratiques ou de transformer leur modèle économique, leurs marges de manœuvre réelles dans le contexte économique et politique actuel sont très limitées, voire inexistantes. Les aménagements à la marge du modèle agro-industriel et les alternatives isolées ne permettent pas d’engager des changements à la hauteur des enjeux : il est nécessaire de revoir les règles du jeu.
Dans la cinquième partie, nous proposons plusieurs mesures structurantes pour changer les règles du jeu et transformer en profondeur le système alimentaire. Son fonctionnement actuel, dominé par le modèle agro-industriel, n’a aucune chance de coïncider avec la poursuite de l’intérêt général et la vocation nourricière que l’on pourrait légitimement en attendre. Les pouvoirs publics doivent de nouveau considérer l’alimentation comme un sujet politique de premier ordre et transformer le cadre économique et législatif qui détermine l’organisation du système alimentaire. La création d’une sécurité sociale de l’alimentation, la généralisation des communs nourriciers grâce aux offices fonciers et la réforme des politiques agricoles et commerciales de l’Union Européenne nous apparaissent comme des leviers majeurs. Leur mise à l’agenda nécessite de construire un mouvement politique et social fort, conscient des problématiques soulevées par ces transformations et des réponses pouvant être apportées.
Ce rapport s’adresse aux pouvoirs publics et à l’ensemble des instances garantes de l’intérêt général en matière d’agriculture et d’alimentation. Les différents acteurs privés comme publics du système alimentaire trouveront également matière à réflexion dans ces pages, comme – plus généralement – toute personne intéressée par le sujet.
Malgré le soin apporté à la fiabilité des sources utilisées, si vous constatez des chiffres ou affirmations erronés, merci de le signaler à l’équipe des Greniers d’Abondance.