Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Goffaux et al. (2011)
La grande homogénéité génétique des variétés modernes les rend vulnérables face à des perturbations climatiques ou biologiques de plus en plus fréquentes. Les semences sont produites par des entreprises spécialisées, pour des pratiques agro-industrielles peu résilientes et sans prise en compte des spécificités territoriales. Face aux menaces globales, il est indispensable de développer un réseau local de sélection et de distribution de semences, afin de disposer de variétés diversifiées et adaptées au territoire.
État des lieux - Des variétés homogènes issues d’une filière concentrée
Des variétés populations aux variétés modernes
L’amélioration variétale a été l’un des piliers de la révolution verte. La production agricole française repose aujourd’hui sur l’utilisation de variétés génétiquement homogènes (lignées pures 1
Les lignées pures sont un type de variété homogène où les gènes ne sont présents en théorie qu’en une seule version (ou allèle). La plupart des lignées pures sont obtenues par autofécondations successives.2
Variété au sein de laquelle tous les individus dérivent d’un même parent par multiplications végétatives successives.3
Les hybrides F1 sont issus du croisement entre deux individus appartenant à deux lignées pures distinctes. Ces variétés F1 possèdent donc pour chaque gène les allèles des deux lignées et cumulent ainsi la plupart du temps leurs avantages respectifs. Ce phénomène appelé « vigueur hybride » se perd naturellement en cas de reproduction entre individus F1.
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pour maximiser les rendements dans les conditions de culture propres à l’agriculture conventionnelle : utilisation importante d’engrais minéraux et de produits phytosanitaires, irrigation et mécanisation lourde ;
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pour optimiser la transformation, la distribution et la commercialisation des produits agricoles.
L’essor de ces variétés homogènes, s’il est un facteur majeur de l’augmentation des rendements au cours de la seconde moitié du XXe siècle, s’est fait au détriment des variétés populations 4
Également appelées variétés paysannes ou de pays, il s’agit de variétés se caractérisant par quelques traits spécifiques, mais dont les individus présentent toutefois entre eux une relative diversité génétique.5
Goffaux R. et al. (2011) Quels indicateurs pour suivre la diversité génétique des plantes cultivées ? Le cas du blé tendre cultivé en France depuis un siècle. Rapport FRB, Série Expertise et synthèse.6
Goffaux R. et al. (2011) Quels indicateurs pour suivre la diversité génétique des plantes cultivées ? Le cas du blé tendre cultivé en France depuis un siècle. Rapport FRB, Série Expertise et synthèse.
Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Goffaux et al. (2011)
Crédits : © INRA, Hélène Navier.
Une filière concentrée géographiquement et économiquement
Les activités de création, de sélection et de multiplication variétale – traditionnellement effectuées par les paysans eux-mêmes – sont maintenant prises en charge par des organismes spécialisés, essentiellement privés. La réglementation actuelle renforce cette structure verticale et la logique industrielle de la filière semencière, car seules les variétés inscrites au catalogue officiel 8
Le catalogue officiel des espèces et variétés végétales répertorie les espèces et leurs variétés cultivées dont les semences et plants sont commercialisables auprès des agriculteurs.
La réutilisation par un agriculteur d’une partie de sa récolte en tant que semences – dites « de ferme » – est autorisée moyennant le paiement d’une « contribution volontaire obligatoire » à l’obtenteur de la variété en question. Cela n’a guère d’intérêt pour les variétés hybrides, dont les caractéristiques avantageuses sont naturellement diluées au cours de la reproduction.
L’amélioration des plantes cultivées se fait donc essentiellement de manière centralisée (la participation des agriculteurs étant limitée à des contrats de multiplication des semences) et sans lien avec les conditions de culture propres à chaque territoire (nature du sol, climat, bioagresseurs). La répartition hétérogène des activités de sélection et de multiplication des semences sur le territoire illustre ce manque de liens avec les conditions de culture locales (Figure VR4.2).
Source : GNIS (2017)
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GNIS (2017) Résultats de l’enquête structure 2016.Le secteur semencier français est constitué de 62 groupes et entreprises indépendantes ayant une activité de sélection/production, auxquelles s’ajoutent 183 entreprises de production seule 10
GNIS (2017) Résultats de l’enquête structure 2016.11
GNIS (2017) Résultats de l’enquête structure 2016.
Un processus de sélection ciblé, long et complexe
La sélection de nouvelles variétés cherche généralement à répondre à un besoin précis : rendement, résistance à une maladie, intérêt nutritionnel ou industriel… Elle se fait la plupart du temps dans une logique réductionniste, par l’identification d’un ou plusieurs gènes d’intérêt et leur introduction (ou leur élimination) dans une variété cible.
La mise au point d’une nouvelle variété nécessite plusieurs étapes : croisement initial entre les parents retenus, fixation des caractères d’intérêts par sélection de la descendance sur plusieurs générations, expérimentation au champ, multiplication, et inscription au catalogue officiel. Il peut ainsi s’écouler une dizaine d’années entre le premier croisement et la mise sur le marché d’une nouvelle variété. Les techniques modernes de génie biologique permettent de réduire considérablement la durée de fixation des caractères et d’aboutir à une inscription au catalogue au bout de six ans 12
GNIS (2019) Fixer plus rapidement les caractères.
Quels liens avec la résilience ?
Menaces associées : changement climatique, effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée, épuisement des ressources énergétiques et minières, instabilité économique et politique
Si le fonctionnement de la filière semencière est adapté au système alimentaire industrialisé moderne, il répond mal aux exigences de résilience que les crises actuelles nous obligent à prendre en compte.
L’homogénéité génétique des variétés cultivées devient une vulnérabilité dans un environnement davantage propice aux perturbations climatiques ou biologiques. De manière générale, une plus grande diversité génétique au sein d’une parcelle permet une meilleure tolérance à différents stress, ainsi que des rendements plus stables 13
De Vallavieille-Pope C. et al. (1997) Les associations de variétés : accroître la biodiversité pour mieux maîtriser les maladies. Dossier de l’environnement de l’INRA 30:101–109.14
Zhu Y. et al. (2000) Genetic diversity and disease control in rice. Nature 406:718–72215
Belhaj Fraj M. (2003) Évaluation de la stabilité et la faisabilité des associations variétales de blé tendre d’hiver à destination meunière en conditions agricoles. Mémoire de thèse, ENSAR, Rennes, France.16
Tooker JF. et Frand SD. (2012) Genotypically diverse cultivar mixtures for insect pest management and increased crop yields. Journal of Applied Ecology 49:974–985.
Les efforts de sélection actuels s’inscrivent majoritairement dans le cadre du modèle agricole intensif en intrants, issu de la révolution verte. Or des contraintes d’approvisionnement (physiques et/ou économiques) ou réglementaires sont à anticiper pour ces produits, en particulier pour les engrais minéraux et les pesticides. La sélection de variétés adaptées à ces pratiques bas intrants est encore anecdotique : sur les 349 variétés de blé tendre enregistrées au catalogue officiel français en 2019 17
D’après la base de données du GNIS. Accessible en ligne.18
INRA (2019) Trois nouvelles variétés de blé tendre d’hiver pour l’agriculture biologique inscrites au catalogue officiel. Accessible en ligne.
L’organisation verticale et centralisée de la filière semencière ne permet pas la sélection régionalisée des variétés cultivées 19
Wolfe MS. et al. (2008) Developments in breeding cereals for organic agriculture. Euphytica 163:323–346.
Les méthodes de sélection variétale modernes ne permettent pas une adaptation rapide. La mise au point d’une nouvelle variété nécessite dans le meilleur des cas au moins cinq années de recherche et des technologies avancées de biologie moléculaire. L’approche réductionniste ne peut cibler l’ensemble des contraintes susceptibles d’affecter les cultures dans un contexte de perturbations rapides et multiples.
Enfin, les agriculteurs sont aujourd’hui dépossédés des savoirs techniques et des capacités réglementaires à assurer leur autonomie en semences, collectivement ou individuellement.
Objectifs
Un facteur de résilience majeur réside dans la diversification des variétés utilisées à l’échelle du territoire. L’objectif n’est pas de couvrir les surfaces agricoles de variétés populations, mais de favoriser autant que possible la diversité cultivée. Cela passe notamment par l’utilisation de différentes variétés (homogènes ou population) sur un ensemble de fermes, plutôt que par la prépondérance de quelques variétés « élites ». Les semences sélectionnées localement peuvent être aussi bien issues de variétés homogènes modernes, que de variétés populations traditionnelles, ou de lignées originales.
La mise à disposition de variétés appropriées nécessite la création de filières locales de sélection, de multiplication et de distribution de semences. Il s’agit de fédérer et de renforcer les initiatives existantes sur le territoire. Beaucoup d’agriculteurs considèrent que ce n’est pas leur métier, n’ont pas le temps ou l’envie de le faire, mais aimeraient pouvoir utiliser des semences locales adaptées à leur système. Le développement de filières impliquant à la fois les agriculteurs et les spécialistes de la sélection de variétés et de la multiplication de semences permet de répondre à cette attente, et aux enjeux de résilience et d’adaptabilité. Au vu de l’importance des arbres et arbustes dans les pratiques agroécologiques et l’aménagement de territoires résilients, les filières semencières de plantes vivaces (pépinières) doivent être elles aussi renforcées.
Leviers d’action
Levier 1 : Favoriser l’installation de semenciers professionnels sur le territoire
Les entreprises, agriculteurs sélectionneurs, et artisans spécialisés sont des maillons essentiels pour un réseau semencier local dynamique. Ils possèdent les ressources techniques et les connaissances pour créer et sélectionner de nouvelles variétés localement adaptées. Ils peuvent ensuite les diffuser largement sur le territoire. Les collectivités peuvent soutenir leur installation et leur activité en mettant des terres à disposition et en accompagnant l’installation et la commercialisation : formation, mise en réseau, achats de certaines productions comme les arbres d’alignement et arbustes de haies, etc.
Crédits : © Union Bio Semences.
Levier 2 : Soutenir et accompagner le développement des maisons des semences paysannes
Les maisons des semences paysannes sont des structures reliant des paysans sélectionneurs, des associations de conservation du patrimoine végétal et environnemental, des artisans semenciers et des chercheurs. Elles ont pour objectif la production de semences paysannes, la valorisation de variétés populations traditionnelles et la conservation de la biodiversité cultivée. Ces structures s’adaptent aux conditions du territoire et aux envies des personnes à l’origine des différents projets 20
Levrouw F. et Drochon L. (2014) Les Maisons de Semences Paysannes : regards sur la gestion collective de la biodiversité cultivée en France.
L’animation d’un tel réseau est d’ailleurs un point de vigilance important. La coordination de nombreux acteurs différents (agriculteurs, semenciers professionnels, chercheurs, jardiniers…) sur des projets d’expérimentation et de sélection variétale multiples n’est pas simple. Des moyens humains suffisants doivent être alloués afin de mettre en place des systèmes d’organisation et d’échanges adaptés. Les collectivités peuvent aider en ce sens, en bénéficiant des conseils du Réseau Semences Paysannes.
Crédits : Mae Mu, Unsplash et Triticum.
Levier 3 : Investir dans la recherche participative pour développer de nouvelles variétés adaptées aux conditions locales et aux besoins des agriculteurs
Pour obtenir des variétés locales intéressantes agronomiquement, la sélection participative décentralisée est une voie innovante et prometteuse 21
Rivière P. et al. (2013) Mise en place d’une méthodologie de sélection participative sur le blé tendre en France. Innovations Agronomiques 32:427–441.
Les collectivités peuvent encourager l’émergence de ce type de programme par un soutien humain, financier ou administratif (montage du projet, demandes de subventions).
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INRA (2013) Agriculture biologique : Un nouvel avenir pour les blés de pays. Accessible en ligne.Crédits : © Triptolème.
Levier 4 : Sensibiliser et former les agriculteurs
L’utilisation de mélanges variétaux ou de semences paysannes peut nécessiter certaines adaptations des itinéraires techniques de culture. Des formations soulignant l’intérêt de ces pratiques pour la résilience des exploitations agricoles peuvent lever certains freins et idées reçues, sans minimiser les contraintes liées à leurs usages. Plus généralement, il est important de sensibiliser les agriculteurs à l’enjeu de la préservation et de l’évolution des ressources génétiques, et de faire valoir les intérêts d’une gestion collective.
Levier 5 : Structurer des filières de valorisation pour assurer des débouchés aux variétés locales
Les productions issues de semences paysannes sont moins facilement valorisables auprès des coopératives ; elles peuvent nécessiter des débouchés spécifiques. Pour certaines espèces les caractéristiques des productions récoltées ne sont pas conformes aux exigences de transformation ou de distribution de masse. Par exemple, pour le blé tendre, les farines ne sont pas adaptées aux procédés de la boulangerie industrielle. La collectivité peut soutenir le développement de filières de transformation et de distribution permettant la valorisation de ces productions locales, par exemple en adaptant les appels d’offre de la restauration collective ou en initiant la création de marques ou de labels spécifiques pour ces productions de terroir. Des exemples liés à la valorisation de produits de terroir sont développés dans la voie de résilience n°8.
Crédits : © International Potato Center.
Bénéfices associés
La sélection variétale est aujourd’hui l’un des principaux leviers pour améliorer les rendements dans des conditions de culture bas intrants. Délaissée par la majorité des grands groupes semenciers, elle peut être un atout majeur pour les structures qui s’en saisissent.
Le développement d’un réseau semencier territorial implique la création de nouveaux emplois durables : artisans semenciers, artisans transformateurs, animateurs de réseaux, conseillers spécialisés, etc.
Une plus grande diversité cultivée réduit les variations annuelles des rendements, permet de stabiliser les revenus de l’agriculteur, et limite les risques de calamité agricole. Elle améliore également la diversité alimentaire de la population.
Obstacles
Réglementation contraignante
Le principal obstacle au développement et au bon fonctionnement des filières semencières locales est d’ordre réglementaire 23
La vente de variétés populations pourrait être à nouveau légale en Europe en 2021 ; Leclercq A. (2018) L’Union Européenne autorise la vente des semences paysannes. PositivR (https://positivr.fr/semences-paysannes-vente-autorise-union-europeenne/) En France, le conseil constitutionnel a en revanche censuré cette même disposition prévue dans la loi EGalim (Décision n° 2018-771 DC du 25 octobre 2018).24
Dreyfus F. et Villers S. (2015) Évaluation du plan semences et agriculture durable.
Indicateurs
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Diversité génétique au sein des grandes cultures
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Nombre de semenciers professionnels sur le territoire
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Nombre de variétés nouvellement créées et de variétés anciennes à nouveau cultivées sur le territoire
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Nombre de filières de valorisation de produits issus de variétés locales
Pour aller plus loin
Un document source d’inspiration qui résume les enjeux autour de l’utilisation des semences paysannes et de la biodiversité cultivée, et qui décrit les modes d’organisation de nombreuses maisons de semences paysannes.