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En France, l’agriculture occupe plus de la moitié du sol métropolitain. Les pratiques agricoles constituent donc la plus grande force d’évolution des paysages, et de la biodiversité qu’ils abritent. L’intensification sans précédent de l’agriculture se manifeste aujourd’hui par un environnement profondément dégradé, une dépendance élevée à de nombreux intrants et une grande homogénéité des systèmes agraires. Les pratiques agricoles dominantes s’avèrent source de vulnérabilité et d’aggravation des menaces décrites dans ce rapport. L’adoption massive de pratiques agroécologiques est impérative pour renforcer la résilience des fermes et enrayer l’anéantissement de la vie sauvage.
L’évolution des pratiques agricoles depuis le milieu du XXe siècle peut se résumer à trois grandes transformations. La plus visible d’entre elles est la destruction des éléments naturels du paysage. La deuxième est l’intensification des pratiques agricoles. La troisième est l’homogénéisation des cultures et l’agrandissement des parcelles.
Les éléments naturels ou semi-naturels du paysage ont fortement régressé. Le linéaire de haies est ainsi passé de 2 000 000 de kilomètres au début du XXe siècle, à 600 000 kilomètres dans les années 2000 1
Pointereau P. (2002) Les haies, évolution du linéaire en France depuis quarante ans. Courrier de l’environnement de l’INRA 46:69–73.2
Solagro (2019) Le revers de notre assiette. Changer d’alimentation pour préserver notre santé et notre environnement.3
Commissariat Général au Développement Durable (2019) Rapport de synthèse. L’environnement en France. La Documentation Française (ed.).
Les pratiques agricoles intensives développées au cours de la révolution verte dominent très largement :
L’utilisation d’engrais minéraux est toujours excessive (voir voie de résilience n°11). Environ un quart de l’azote ainsi apporté aux champs est perdu et participe à la pollution des milieux aquatiques et à l’émission de protoxyde de diazote, un puissant gaz à effet de serre 4
Agreste (2019) GraphAgri 2019. Bilans azote et phosphore.
Les surfaces irriguées ont été multipliées par trois depuis les années 1970, et représentent environ 6 % de la surface agricole 5
Agreste (2012) Des surfaces irrigables en baisse à partir de 2000. Agreste Primeur 292.
Enfin, la consommation de pesticides n’a jamais été aussi élevée, malgré les plans « Écophyto » et autres politiques mises en oeuvre. Ainsi, le « nombre de doses unités » (NODU), généralement utilisé par les autorités pour surveiller l’évolution de l’usage des pesticides, ne cesse de croître (Figure VR7.1). Les ventes de produits phytosanitaires à usages agricoles ont encore bondi de 22 % entre 2017 et 2018 6
Ministère de la Transition Écologique et Solidaire (2020) Le plan Écophyto 2018-2019 en bref.
Comme toute production industrialisée, l’agriculture issue de la révolution verte est standardisée. Il en résulte une perte de diversité à toutes les échelles :
À l’échelle de la parcelle, la diversité génétique a diminué avec le passage des variétés « populations » aux variétés modernes génétiquement homogènes 8
Goffaux R. et al. (2011) Quels indicateurs pour suivre la diversité génétique des plantes cultivées ? Le cas du blé tendre cultivé en France depuis un siècle. Rapport FRB, Série Expertise et synthèse.
À l’échelle de la ferme, les rotations et les assolements 9
La rotation culturale (ou rotation des cultures) correspond à la répartition dans le temps des cultures sur une même parcelle, l’assolement correspond quant à lui à la répartition des cultures dans l’espace.10
Schaller N. (2012) La diversification des assolements en France : intérêts, freins et enjeux. Centre d’études et de prospective du Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, analyse n°51.11
Agreste (2019) GraphAgri 2019. Céréales, oléagineux, protéagineux.
À l’échelle d’une région agricole, l’agrandissement et la spécialisation des exploitations ont conduit à une grande uniformisation (voir voies de résilience n°1 et n°6). Les systèmes de polyculture-élevage ont régressé au profit d’exploitations spécialisées.
De nombreuses pratiques en rupture plus ou moins marquée avec le système conventionnel émergent : agriculture de conservation, agriculture biologique, agroforesterie, agroécologie, permaculture… La plupart vont dans le sens d’une agriculture plus résiliente, mais accordent des niveaux de priorité inégaux aux différentes menaces.
Par exemple, l’agriculture biologique gagne du terrain dans tous les territoires, à hauteur de 16 % par an à l’échelle nationale depuis 2015 13
Agence Bio (2019) Un ancrage dans les territoires et une croissance soutenue. Dossier de presse. Accessible en ligne.14
Agence Bio (2019) Un ancrage dans les territoires et une croissance soutenue. Dossier de presse. Accessible en ligne.15
Agence Bio (2017) La bio dans l’Union Européenne – édition 2017.
Menaces associées : changement climatique, effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée, dégradation et artificialisation des sols, épuisement des ressources énergétiques et minières
Éléments naturels du paysage
La destruction des éléments naturels réduit les niches écologiques et les ressources disponibles pour les espèces sauvages. Il en résulte une biodiversité sérieusement dégradée dans les milieux agricoles, défavorable à certaines fonctions essentielles comme la pollinisation ou la régulation des bioagresseurs.
Les sols agricoles soumis aux pratiques agro-industrielles perdent peu à peu leur fertilité et leur biodiversité.
La destruction des haies et des arbres de plein champ aggrave ce problème : réduction des apports de matière organique aux sols, de l’infiltration et de la rétention des eaux pluviales, plus faible protection contre l’érosion et les aléas climatiques 16
Fuhrer J. et Gregory JP. (2014) Climate Change Impact and Adaptation in Agricultural Systems. 10.1079/9781780642895.0000.
Usage intensif des intrants
Les engrais minéraux sont devenus incontournables pour renouveler la fertilité des sols, or leur production se heurte à l’épuisement des énergies fossiles (voir voie de résilience n°11).
L’agriculture n’a plus aucune autonomie énergétique (voir voie de résilience n°3). La dépendance totale à la motorisation pour les travaux agricoles est une source de vulnérabilité dans un contexte de déclin de la production pétrolière mondiale.
Les fortes sécheresses consécutives au dérèglement climatique en cours pourront avoir des conséquences catastrophiques sur les récoltes si les systèmes agricoles ne réduisent pas leurs besoins en eau (voir voie de résilience n°5).
La dépendance aux pesticides devient problématique en cas de rupture d’approvisionnement ou d’apparition de variétés résistantes. L’utilisation massive des pesticides participe à la mort d’un nombre incalculable d’insectes, de plantes et d’autres êtres vivants non nuisibles aux cultures. On estime que moins de 0,1 % des molécules toxiques employées à l’échelle mondiale atteignent effectivement leurs cibles 17
Pimentel D. (1995) Amounts of pesticides reaching target pests: Environmental impacts and ethics. Journal of Agricultural and Environmental Ethics 8: 17–29.
Homogénéité des agrosystèmes
L’homogénéité génétique des cultures les rend particulièrement sensibles aux stress environnementaux et aux bioagresseurs (voir voie de résilience n°4).
Le manque de diversité des assolements accroît les risques de développement de parasites. Par exemple, le blé tendre, était dans 17 % des cas précédé par un blé sur la période 2006-2009, ce qui favorise les adventices et maladies inféodées à cette culture et accroît la dépendance aux pesticides 18
Fuzeau V. et al. (2012) Diversification des cultures dans l’agriculture française. État des lieux et dispositifs d’accompagnement. Collection « Études et documents » du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable (SEEIDD) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) n°67.
Nous mettrons en avant dans ce rapport l’agroécologie, dont les principes et les objectifs répondent de manière pertinente à de nombreuses problématiques soulevées par les menaces décrites précédemment (Figure VR7.3). L’agroécologie peut s’entendre comme l’application des savoirs issus de l’écologie – la science qui étudie les écosystèmes – à l’agronomie, dans le but de concevoir des systèmes agraires soutenables. Une transition agricole massive est impérative pour que l’agroécologie devienne le nouveau standard et renforce ainsi la résilience des exploitations.
Un des points clés de cette stratégie est la reconfiguration profonde des paysages agricoles dans le but de concilier au mieux production alimentaire et restauration de la biodiversité. Les arbres doivent reprendre la place qu’ils occupaient il y un siècle dans nos paysages agricoles. Les bois et espaces forestiers existants doivent être protégés : ils fournissent des espaces refuges pour la biodiversité, atténuent les conséquences du changement climatique, et contribuent de façon indispensable au stockage de carbone. Tous les scénarios du GIEC conduisant à une hausse de la température globale relativement limitée (inférieure à 2°C) incluent des stratégies de reforestation et d’afforestation. Les arbres constituent par ailleurs une source d’énergie locale et renouvelable qu’il est indispensable de développer face au déclin des énergies fossiles. Nous devons aussi adapter nos écosystèmes face à la pression accélérée du changement climatique. Dans les forêts exploitées, une attention particulière doit donc être portée au choix et à la diversité des essences.
La diversité des pratiques agroécologiques et l’absence d’un label ou d’un cahier des charges précis rendent complexes la réalisation d’un diagnostic détaillé sur le territoire, l’élaboration d’un plan d’actions ou le suivi des changements. Pour cela, les collectivités peuvent se référer à certains indicateurs complémentaires, plus faciles d’utilisation :
L’agriculture biologique, qui répond à un cahier des charges incorporant plusieurs pratiques agroécologiques, et fait l’objet d’un suivi régulier ;
Les labels de qualité sont également souvent associés à des pratiques agroécologiques ;
L’indice de Haute Valeur Naturelle (HVN) développé par Solagro agrège des informations relatives à l’abondance des éléments paysagers d’intérêt écologique, à l’extensivité des pratiques agricoles et à la diversité des assolements 19
Pointereau P. (2002) Les haies, évolution du linéaire en France depuis quarante ans. Courrier de l’environnement de l’INRA 46:69–73.
Le passage à l’agroécologie peut demander aux exploitants des modifications substantielles de leurs itinéraires techniques, l’acquisition de matériel spécifique, et une évolution de leur modèle économique. Des efforts soutenus de sensibilisation, de partage d’expériences et de formation sont indispensables. L’animation de cette démarche peut être déléguée à un acteur de terrain ou gérée en propre par la collectivité. Cette seconde option permet de faire le lien avec l’animation foncière. La collectivité peut aussi jouer un rôle dans l’obtention de financements pour acquérir du matériel, développer des filières de valorisation ou assurer la bonne rémunération des agriculteurs lors de leur période de transition.
Les collectivités peuvent développer une stratégie de gestion forestière et paysagère associant les propriétaires fonciers, les exploitants agricoles, les sylviculteurs, et les organismes encadrant leurs activités. Il s’agit de :
- Réaliser un diagnostic détaillé de la couverture forestière et des boisements épars sur les exploitations agricoles (inventaire cartographié des haies, des alignements d’arbres et des arbres isolés dans les documents d’urbanisme) ainsi que de leur état de santé et de leur potentiel d’adaptation au changement climatique ;
- Mettre en oeuvre des protections réglementaires en demandant leur classement par arrêté préfectoral 20
Arrêté du 28 avril 1995 pris pour l’application du décret n° 95-488 du 28 avril 1995 relatif aux boisements linéaires, haies et plantations d’alignement susceptibles d’être protégés et complétant le code rural.
Les productions certifiées comme l’agriculture biologique, les Appellations d’Origine Protégée, les labels de qualité pour la viande, incluent à la fois le respect de certaines pratiques agroécologiques et bénéficient en même temps d’une reconnaissance établie facilitant les conversions et leur réussite économique.
Pour la conversion à l’agriculture biologique par exemple, la Grille d’Analyse des Territoires, réalisée par le groupe de travail national « Eau & Bio », peut être mobilisée comme support de diagnostic et de concertation 21
Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (2018) La grille d’analyse des territoires. Accessible en ligne.
Le développement de l’agroécologie permet de restaurer la biodiversité sauvage et cultivée ainsi que la diversité des paysages et des produits qu’ils peuvent offrir (chasse et cueillette). Il encourage la production de bois d’oeuvre et d’énergie renouvelable locale.
Intérêts divergents
L’agroécologie marque une rupture avec le modèle agro-industriel et son orientation productiviste. Elle cherche à réduire sa dépendance aux intrants et ses impacts sur les milieux, quitte à diminuer les quantités produites. Son développement se fait donc à l’encontre des intérêts d’acteurs économiques puissants comme les entreprises fournissant engrais et pesticides ou celles utilisant et transformant les matières premières agricoles. Or ces acteurs ont souvent un poids important dans les organismes locaux en charge du développement agricole comme les Chambres d’agriculture ou les coopératives, des intermédiaires indispensables pour les collectivités dans le cadre d’un projet de résilience alimentaire.
Difficultés économiques des agriculteurs
La transition vers des pratiques agroécologiques peut être une période économiquement difficile pour les agriculteurs dans un contexte de fort endettement et de faible pouvoir de négociation sur les prix. Les changements ne donnent pas toujours des résultats immédiats, et un certain temps est nécessaire pour que l’agriculteur maîtrise ses nouveaux itinéraires techniques. L’exemple de l’agriculture biologique montre toutefois que le résultat économique est nettement meilleur après conversion 22
Levrel H. et Couvet D. (2018) Analyse de la transition vers l’agriculture biologique. Société Française d’Écologie et d’Évolution, Regards 79. Accessible en ligne.
Propriété et structuration du foncier
Le fermage est le mode de faire-valoir le plus répandu, peu d’agriculteurs sont donc propriétaires de leurs terres et peu la considèrent comme un patrimoine à transmettre. De plus, le morcellement du foncier fait que certaines parcelles sont relativement éloignées du lieu de vie de la personne qui les cultive, parfois dans des communes différentes. Il y a par conséquent peu d’incitation à mettre en oeuvre sur ses terres des aménagements perçus comme contraignants : mise en place d’éléments semi-naturels, changements de pratiques.
Normes sociales
Comme tout groupe social, le monde agricole est caractérisé par certaines normes, façonnées par le modèle agro-industriel depuis deux générations. Ce cadre social de référence a tendance à freiner ou à dévaloriser les initiatives qui s’en éloignent. La réussite de ces initiatives a cependant le pouvoir de faire évoluer les normes petit à petit et de favoriser, par mimétisme, les changements de comportements.
Part de la surface agricole labellisée agriculture biologique ou en conversion
Indicateur de Haute Valeur Naturelle
Linéaire de haies et sa caractérisation (simple ou double, entretien…)